♫♪Âme errante parmi toutes les autres. Tu les observes. La plupart hagards et groggys, ils laissent le temps filer sans aucune perspective. Sans aucun espoir, ni avenir. Ils te désolent et te répugnent. Tu les jalouses autant que tu les blâmes. Cette colère en toi s'endort mais ne te quitte jamais. Et aux heures les plus tardives, elle revient, toujours plus virulente. Tu luttes pour ne pas te laisser submerger. Tu attends patiemment le levé du jour ta dose de sérum. Tes addictions reprennent, toujours plus violentes que précédemment. Lentement, tu te meurs.
Et tu l'aperçois. Ta cible. Celle qui paiera les conséquences de tes sombres machinations. Tu n'éprouves ni jubilation, ni satisfaction... ni même de honte. Tu as déjà tellement perdu... Pourquoi ne pas perdre ton humanité en chemin? Les ombres te surveilles. Tu entends leurs murmures désapprobateurs. Tu les ignores. Tu quittes ton siège et t'approche de
Matsuko dents d'aciers. Pareil à un zombie, tu traînes des pieds. Sans vie, poupée désarticulée. Une fois proche de ta cible, tu lui prends gentiment le bras. Ce premier contact lui hérisse le poil. Ces yeux dardent sur toi une première menace. Tu feins de ne pas le remarquer.
— Je peux te poser une question?Ta voix douce chante l'innocence. Ton cœur, lui, suinte l'impureté. La réponse, tu la connais déjà. Tu ne cherches qu'une réaction. Tu as déjà commencé ton oeuvre avec ce simple contact. Un stimulus. C'est tout ce dont elle a besoin pour démarrer au quart de tour. Tu le connais et t'es prête à en user.
— C'est vrai que tu es là parce que ton frère ne voulait pas de toi?La solitude de Matsuko dents d'aciers. Tu la connais. Tu t'en joue et en use. Sa mâchoire se crispe. Un petit cri suraigü s'échappe de ses lèvres. Elle lutte contre ses plus bas instincts. Violente à son arrivée. Les médecins avaient noté une nette amélioration. Mais tu le connais, son déclencheur. Il ne suffit de pas grand chose pour basculer, ça aussi, tu le sais très bien.
— Il t'appelait Busunako, n'est-ce pas?Elle résiste et tu insiste. Elle tente de se défaire de ton emprise et tu resserre ta prise. Tes deux billes la fixent et ton sourire s'étire, mauvaise. Tu approche et murmure proche de son visage.
— Busunako. Busunako. Busu...Tu n'as guère le temps de finir. Elle crie et te saute dessus. Littéralement. Déstabilisée, tu perds l'équilibre et t'effondre volontaire contre le sol. Enragée, tu sens la morsure cuisante qu'elle t'inflige. Ses canines déchirent chaque couche de ton épiderme et tu hurles ta douleur. Et pourtant, à l'intérieur, tu jubile. Autour de toi, tu entends l'agitation. Certains hurlent, d'autres appels du renfort. Matsuko tente une nouvelle morsure mais cette fois-ci, tu riposte. Ton front heurte le sien. Un choc pour vous deux mais elle ne semble pas désavantagée plus que ça. Tu la cognes et réalise qu'elle ne ressent pas la douleur.
Algoataraxie. Tu te souviens avoir survolé ce mot sans te souvenir de la référence. A présent tu comprends. Insensibilité congénitale. Frappe autant que tu veux, poupée de glace, ça ne sert à rien. Elle plante une seconde fois ses dents dans ta chair avant que deux paires de bras musclés ne l'empoignent et l'éloignent. Elle hurle. Se débat. Grogne. Tu te redresses et feins d'être choquée. Les larmes te montent aussitôt aux yeux et tu te donne un air hébété.
A cette heure-ci, le bloc psychiatrique A ne compte que quatre membres du personnels. Si peu. Un troisième employée s'empresse d'examiner tes blessures. Tu renifles de plus belle, laisses couler tes larmes. Petite silhouette frêle et fragile. Qui peut deviner que sous cette fragilité se cache un vil serpent manipulateur? Qu'importe la cause que tu défends, Keira, tu le sais très bien que tu es mauvaise. Pourrie de l'intérieur. Ils t'ont tous tourné le dos. Sans exception. Salem. Ariana. Isaac. Et tes larmes deviennent sincères. Chaudes, amères, silencieuses. Sans un mot, tu suis la femme de ménage qui te guide jusqu'à l'infirmerie.
— Je vais chercher le médecin en chef, attends-là.Docile, tu opines de la tête. Tu n'es pas censée être sans surveillance. Néanmoins... tu es devenue une patiente modèle, sur la voie de la guérison. Ils te laissent d'avantages de liberté et concentrent leur énergie ailleurs. Tellement facile.
Féline, tu prends place devant l'ordinateur en veille. Sans difficulté, tu rentre l'identifiant et le mot de passe. C'est la première chose que tu as cherché et trouvé à ton arrivée. Pendant que la machine s'échauffe et daigne fonctionner correctement, tu tatonne sous le bureau. Tes doigts finissent par effleurer un objet. Ta clé USB que tu as soigneusement scotché ici. Le personnel pouvait, à tout moment, fouiller les chambres, mais l'idée de fouiller leurs propres bureau ne leur vient visiblement pas à l'esprit. Tant mieux pour toi, n'est-ce pas? Tu récupères ton trésors et l'enfourne dans la bécane. La boule au ventre, tu y insères les dernières données que tu as collecté. Ce sentiment d'urgence, tu l'as déjà ressenti par le passé... et tu déteste ça. Tu déteste cette vie. Tu déteste cette ville. Et pourtant, tu fais tout pour la sauver. Tu t'obstines à éviter les pots casés. Car c'est dans ta nature. Car tu ne peux pas abandonner les personnes qui te sont chères... même si c'est clairement l'impression que tu donne en t'étant terrée dans cet enfer.
Tu zieutes par intermittence la porte d'entrée puis l'écran de l'ordinateur, impatiente. Quand tu termines le transfert des dossiers, tu retire ta clé USB que tu camoufles dans tes cheveux. Tu t'es entraînée lors de ton arrivée, à cacher cette petite chose lorsque tu te fais un chignon négligé. Dans un timing parfait, tu entends des pas approcher et tu reprends place sur ton siège.
La machine est en route.