la saison deux

And now we welcome the new year...

11 janvier 2126.

Impassible, ses deux billes opalines se mélangent doucement à l’azur d’un ciel nuancé encore par les couleurs polaires de l’aube, voyant briller les éclats mordorés d’un soleil s’extirpant lentement des terres brûlées et se profiler derrière les géants buildings encore ensommeillés de si bon matin. Mug fumant entre ses fines mains aux ongles manucurés, la femme d’affaire, harassée de cette nuit blanche tout juste traversée, sirote sa tasse de thé avec apaisement, le liquide chaud dévalant le long de son œsophage devenant baume sur les plaies toujours vives d’une surcharge considérable de travaux scrupuleux et impératifs. Le projet Equilibrium ayant rencontré des résultats surpassant hautement les bilans estimés par les experts affectés à la division des sciences du comportement humain, depuis plusieurs semaines,  Moira a tenue à assister à la révision de chaque dossier, s’est assurée que la réinsertion sociale de ses sujets se produise proprement et sans bavure. Tâche laborieuse, exténuante, dont seuls les jours prochains lui permettront de conclure la réussite ou l’échec de ce projet. Pour patienter ? Son attention se porte à nouveau sur le projet OBLIVION. L’ombre des mystères du labyrinthe ne cessant jamais de s’étendre sur ses songes. Malgré la fatigue, la présidente a refusé de retrouver le confort de son logis, accumulant sur son bureau, plusieurs chemises cartonnées de dossiers et de paperasses pas encore examinés. Ce qu’elle s’empresse de faire alors qu’elle s’arrache lentement de la vue imprenable que lui offre la baie-vitrée, pour venir s’installer derrière son aire de travail. Au moment où son mug fumant est posé sur la plaque chauffante, à l’autre bout de la pièce, la lourde porte de verre trempé s’ouvre timidement :

- Mademoiselle Rosenbach ? couine la secrétaire, timide et incertaine, toujours transie sur le seuil.

- Oui, Nadia ?

- Hum… une lettre… j’ai une lettre pour vous.

- Bien. Déposez-là sur la pile, avec les autres, s’il vous plait, Nadia et merci…

- Je crains que cela ne soit pas possible.

Tiquée par cette distraction inutile, la présidente lève une œillade agacée à son employée, lui intime de s’approcher et de lui remettre l’enveloppe entre les mains. Chose faite, Moira hausse l’un de ces fins sourcils sous son front barré par une fine ligne de perplexité. Aucune adresse de retour n’est affiché au coin de l’enveloppe, d’ailleurs, sur cette dernière, il y a d’étampé que son nom à l’encre noir et le mot « Urgent » à l’encre rouge.  

- Qui vous a donné cette enveloppe, Nadia ?

- Un courtier…

- D’accord. Merci. Vous pouvez sortir.

Seule dans le silence de son bureau, elle s’empresse de décacheter l’enveloppe et de consulter son contenu. Le message a été retranscrit par ordinateur…

« Jésus ordonnait à l’esprit impur de sortir de cet homme. Bien des fois en effet il s’en était emparé, et on le tenait lié avec des chaînes et des entraves, bien gardé, mais, rompant les liens, il était poussé par le démon dans les lieux déserts. Jésus lui demanda : « Quel est ton nom ? » Il dit : « Légion », car beaucoup de démons étaient rentrés en lui. »

Évangile selon saint Luc,
VIII, 29-30

Chère mademoiselle Rosenbach,
Nous sommes Légion.
Nous sommes Justice, Fidélité et Courage.
Aux prix de tant de sacrifices, tout ce pourquoi nous avons travaillé, tout ce pourquoi nous avons été créé, est désormais enclenché. L’aube rédemptrice après un si long crépuscule. Les objectifs assurés il y a de cela tant d’années seront enfin réalisés. Nos promesses seront tenues et le sang des martyrs ainsi vengé. Vous êtes soucieuse, votre Conseil prudent, ce qui vous rend un général avisé. Nous nous sommes montrés très coopératifs à vos avertissements et mises en garde, bien attentifs à votre vigilance. Dans cette juste et noble guerre, nos objectifs de briser la trêve, la paix fragile, n’est pas de se faire par la bavure d’un massacre terrible. Nous sommes armés, détenons les finances nécessaires, les étapes à franchir, pour vous atteindre, ont été considérées avec soin et vous savez que vous perdrez cette guerre. Au moment où vous lisez ce message, mademoiselle Rosenbach, nous vous demandons de prendre notre cause au sérieux. Nous avons notre mission à poursuivre, à parachever, le sang a tant coulé et ces tristes sacrifices nous rendent Honneur. Les conjonctures font que vous êtes une adversaire de taille, valeureuse, présumée présidente d’un Conseil tyrannique et d’une nation vacillante. Vous cachez votre mépris pour cette ville et sa décadence sous un masque polyvalent. Nous aussi. Sous votre regard aveugle, nous nous sommes forgés dans votre moule, vos propres convictions, nous sommes invisibles, une ombre parmi les ombres, des soldats braves, dont la noble mission, comme vous nous l’avez si bien apprise, est de faire régner l’équité et la paix dans ce monde couvert d’injustice et de crasse.

Refusez-nous ce que l’on vous demande, demain, mademoiselle Rosenbach, vous et votre Conseil entendrez gronder les premiers tambours de notre combat. Relâchez immédiatement les Divergents et cessez toutes traques. Il est dans votre intérêt de prendre cette cause au sérieux.

Nous sommes Justice, Fidélité et Courage.
Nous sommes Légion.

✤ ✤ ✤

Pendant ce temps, à l'hôpital Wrigley,
Arrondissement des Altruistes.

Exténués du long voyage parcouru depuis l’arrondissement des Fraternels, les deux Audacieux, mandatés pour accompagner, sur un brancard pliable, le corps ankylosé d’un hippie, souffrant d’une fièvre le plongeant en plein délire, déboulent aux urgences. À bout de souffles, les vaillants gaillards déposent avec empressement le malade sur une civière orpheline, alertent les infirmières qui se hâtent de prendre le relais alors que les deux Audacieux sont sur le point de prendre congé… pas de chance pour eux, une blouse blanche les intercepte, la mine austère et insistante de l’urgentiste les intiment de faire preuve de finesse et de patience.

- Agent Andersson. Agent Clark. Depuis une semaine, c’est la débandade aux urgences. Pouvez-vous bien me dire ce qui se passe dans la faction des Fraternels ?! C’est le cinquième patient que vous m’envoyez. Je ne veux pas jouer à l'oiseau de malheur, mais ce n’est pas normal !

- Et c’est à nous de faire votre boulot, en plus de livrer la marchandise, toubib ? râle agent Clark, à bout de souffle : Il se trame quelque chose de pas net. C’est vrai. À croire que les hippies se claquent une grippe ou j’sais pas quoi… Ils tombent comme des mouches…

- Cette expression élucide si bien mes équivoques, agent Clark. Avez-vous été témoin de quelque désordre dans cette faction ? Une habitude changée, une mauvaise hygiène de vie ?

- Non. Pourquoi nous demander ça, doc ?

- Parce que chez les Fraternels, le taux d'infection de la grippe saisonnière n’est tout simplement pas normal. Pas en si peu de temps et avec des symptômes aussi sévères…

- Quoi ? Vous songez à une épidémie, toubib ? extrapole Clark, hilare.

- À votre place, je ne rigolerais pas…